Les entrepreneurs ont de plus en plus la cote au Québec. Alors que le métier d’entrepreneur a longtemps été boudé chez nous, l’indice entrepreneurial de la Fondation de l’entrepreneurship révèle une progression au cours des dernières années, ce qui donne beaucoup d’espoir. Socialement, on salue désormais le courage et l’intelligence de nos entrepreneurs, et ils sont vus en quelque sorte comme des héros du monde des affaires… lorsqu’ils réussissent bien entendu ! Et le cas classique du succès entrepreneurial est le suivant : un self made man qui, avec 10$ dans ses poches, a créé une entreprise qui a aujourd’hui un chiffre d’affaires de 150 millions de dollars, et qui compte plus de 250 employés. Histoire classique! Je ne suis plus capable de l’entendre !

Si le Québec a bel et bien progressé au niveau de sa sensibilité à l’entrepreneuriat, il reste que la vision de la chose entrepreneuriale, pour la nommer ainsi, comporte encore de nombreux clichés et reste très romancée. Cette vision fantasmagorique du succès entrepreneurial nuit aux entrepreneurs latents, parce qu’elle implante en eux l’idée que tout succès moindre à celui racontée par les médias, panels et autres canaux à faire-valoir, serait un échec lamentable. Il y a encore un immense chemin à parcourir pour que socialement, l’entrepreneur qui a réussi à créer son emploi et qui génère un chiffre d’affaires de 65 000$ annuellement soit ennoblit par rapport au salarié qui gagne 70 000$ annuellement.

Comme entrepreneur, il est extrêmement tentant de se percevoir soi-même comme le prochain Guy Laliberté, Paul Desmarrais, Jean Coutu, Laurent Beaudoin ou encore comme la prochaine Lise Watier. De mon côté aussi, je l’avoue, j’aurai toujours un préjugé favorable envers les projets innovants. Je verrai toujours en eux leur potentiel et m’en émerveillerai. J’y croirai toujours profondément. Toutefois, la réalité est tout autre. Peu de projets entrepreneuriaux sont les prochains Google, Facebook, Apple ou Microsoft. Et savez-vous quoi ? C’est très bien ainsi !

L’éloge que nous faisons actuellement de l’entrepreneuriat est quelque peu hypocrite, avouons-le. Il s’agit plutôt de l’éloge d’un succès entrepreneurial gargantuesque. Socialement, cette vision met une pression immense sur les futurs entrepreneurs.

Alors qu’on ne parlait pas du tout d’entrepreneuriat quelques années auparavant, on connaît désormais de plus en plus les grands noms du monde des affaires. On comprend désormais un peu mieux les rouages de l’économie. L’émission Dans l’œil du Dragon a d’ailleurs fait un remarquable travail pédagogique en ce sens. Je me réjouis de constater cette avancée de notre société, et il est clair que notre prospérité passe par cet intéressement de tous à notre économie.

Toutefois, le prochain pas en avant sera clairement de faire l’éloge des entrepreneurs en soi, et non plus du succès entrepreneurial démesuré. Il n’y a pas d’entreprise insignifiante, ni de projet insignifiant. Entreprendre demande du courage et chaque entrepreneur a son impact sur l’économie et sur les tendances sociales.

Je salue l’approche de Danièle Henkel qui, à mon avis, est une grande mentor de l’entrepreneuriat de demain. Elle nous parle d’humanité et non de marchés. Elle place l’individu au cœur de la démarche entrepreneuriale et salue la force des aspirations profondes d’un être humain. Voilà un bel exemple de ce dont nous avons besoin pour faire un autre pas en avant dans notre compréhension de l’entrepreneuriat. Toute démarche entrepreneuriale est respectable et nous avons tous la responsabilité d’encourager nos entrepreneurs et de reconnaître leurs avancées, les petites comme les grandes.